


Vermeer, la peseuse d’or

À la fin du 17e siècle, alors qu’elle vient de décrocher son indépendance du Royaume d’Espagne après 80 ans de guerre, la petite république protestante des Provinces-Unies est déjà victorieuse sur le plan économique. Sa flotte puissante lui assure la domination du commerce avec le monde entier.
Les artistes de la jeune république, qui ne peuvent plus compter sur le mécénat d’une cour royale ou de l’Église Catholique, optent dans leurs tableaux pour des thèmes du quotidien, en petits formats, afin de plaire aux nouveaux acheteurs que sont les représentants d’une bourgeoisie en plein essor. C’est dans ce contexte que Johannes Vermeer peint, surtout des portraits de femmes.
La Peseuse d’or est un essai documentaire inspiré par un de ces portraits, la Femme à la balance. En effet, le tableau a parfois été appelé La peseuse d'or ou La peseuse de perles. Dans la balance tenue en équilibre parfait entre le pouce, l'index et le majeur, il est à vrai dire difficile de distinguer ce que la femme est en train de peser. Il s'agit pourtant probablement d'or (quelques pièces sur le devant de la table) ou de perles (en plus grand nombre étalées devant elle). Le tableau au fond est un Jugement dernier qui a valeur allégorique : "Tu pèses des bijoux, tu seras aussi pesée à ton tour !"
Le film réalisé par Jacques Loeille ne propose par une description détaillée du tableau ou de son seul contexte historique, il déroule une sorte d’enquête qui nous emmène des débuts de la mondialisation - durant le Siècle d’Or hollandais -, jusqu’à la "redécouverte" de Vermeer par les Impressionnistes, dans le Paris du milieu du XIXe siècle.
Réalisation : Jacques Loeille
Durée:20’
Année :2017
Pays : France

JohannesVermeer, L’Astronome 1668
Dans la petite ville de Delft, qu’il ne quittera pas de toute sa vie, le peintre Johannes Vermeer habite et travaille dans la maison de sa belle-famille, avec sa femme et ses onze enfants. Une grande sérénité poétique se dégage pourtant de ses chefs‑d’œuvre, baignés à chaque fois d’une lumière qui sublime la simplicité apparente de la scène…
Parmi les nombreux portraits féminins qui feront sa célébrité, le peintre choisit pour la première fois en 1668 de représenter un homme seul. En kimono, penchés sur des instruments minutieusement reproduits, celui-ci travaille avec une ferveur toute scientifique. Un compas, un astrolabe, un globe céleste et de nombreux livres lui permettent d’étudier les astres sans même avoir à lever le regard. Dans le prolongement de la révolution copernicienne, l’homme quitte le refuge de Dieu pour se projeter dans l’infini.
Aux balbutiements d’un capitalisme moderne aujourd’hui mondialisé, Vermeer, dans l’intimité de son intérieur, traduit avec génie la soif de découvertes d’une époque dont le regard embrasse déjà le monde et les étoiles. Quel autre mystère se cache dans cette toile et que nous dévoilera ce nouvel épisode des Petits secrets des grands tableaux ?
Réalisation : Carlos Franklin
Durée:26’
Année :2017
Pays : France
JOHANNES VERMEER
Le « mystère » Vermeer
Les éléments biographiques sont rares ; ils permettent tout au plus de le situer dans le contexte social de sa ville natale, Delft, qu'il ne quittera pratiquement jamais. Son père exerce plusieurs métiers : tisserand d'étoffes de soie, aubergiste sur la place du Marché et, à partir de 1631, commerçant en œuvres d'art. Johannes se marie en 1653 avec la fille d'une riche famille catholique de Gouda. Son père meurt en 1655 ; Johannes Vermeer et sa femme reprennent, semble-t-il, le cabaret et le négoce d'art.
Au cours des années suivantes, le nom de Vermeer est mentionné dans les archives à propos d'opérations financières, emprunts d'argent, cautionnement. Vermeer meurt à quarante-trois ans, laissant onze enfants, dont huit encore mineurs, et une veuve dans la gêne.
Figure de la bourgeoisie commerçante
À travers ces quelques jalons se dégage la biographie typique d'une famille de la bourgeoisie commerçante de l'époque. Les activités artistiques de Vermeer ne sont pas mieux connues. Aucune mention concernant sa formation ; en 1653, Vermeer est admis comme peintre à la gilde de Saint-Luc, dont il sera à trois reprises, pour une année, vice-doyen ou doyen. Il se rend à La Haye en 1672, avec le paysagiste Karel Dujardin (vers 1622-1678), pour une expertise de tableaux.
Après sa mort, sa veuve donne certaines peintures en gage en attendant de pouvoir s'acquitter de dettes importantes. En 1696, une vente aux enchères, à Amsterdam, comprend vingt et une peintures de Vermeer, qui réalisent de bons prix.
La reconnaissance
À cela se borne ce que l'on sait. Les mentions faites par les historiographes sont rares et laconiques. Au XVIIIe, quelques artistes et connaisseurs manifestent leur admiration devant telle ou telle toile ; mais la rareté et la dispersion des œuvres, le peu de copies, l'absence de gravures de reproduction contemporaines comme de tout dessin ou esquisse firent que l'œuvre ne put être appréciée à sa juste valeur. Chose plus grave, elle se volatilisa en partie : confusion avec les nombreux homonymes.
Ce n'est qu'à partir de 1848 que l'œuvre reprend consistance grâce à Théophile Thoré (dit William Bürger), qui, en partant de la Vue de Delft (Mauritshuis, La Haye), regroupe d'une manière trop généreuse un ensemble de soixante-seize tableaux. Le catalogue devra être réduit. En 1888, avec Henry Havard, il n'en restait que cinquante-six numéros ; actuellement, le nombre des authentiques faisant la quasi-unanimité de la critique oscille autour de trente-cinq. Il s'agit uniquement de peintures pour collectionneurs, de formats petits et moyens, reflétant, comme plus tard celles de Chardin, le cadre et la vie domestique de la petite bourgeoisie. Font exception une peinture religieuse, le Christ chez Marthe et Marie (National Gallery, Édimbourg), une peinture mythologique, Diane et ses nymphes (Mauritshuis), toutes deux des débuts de l'artiste, et une allégorie, la Foi (Metropolitan Museum of Art, New York), l'une des dernières œuvres, sans doute une commande.
La production a donc été très lente : une à deux peintures par an, traitant de thèmes choisis librement par l'artiste en combinant les mêmes éléments, décor, mobilier, personnages pris dans son entourage immédiat. Parmi ces toiles, une vingtaine sont signées plus ou moins clairement, mais deux seulement portent une date (1656 : Chez l'entremetteuse, Gemädegalerie, Dresde ; 1668 : l'Astronome, collection privée, Paris). Les discussions sur la chronologie ont donc été nombreuses.
Les influences de Vermeer
Vermeer est de ces artistes qui assimilent très tôt et totalement les influences subies. Aussi les historiens d'art ont-ils pu trouver des rapprochements précis, concernant la composition, les attitudes, les sujets traités, l'éclairage, mais qui se sont révélés épisodiques, car ne concernant qu'un ou deux tableaux, et peu explicatifs, car relevant de l'emprunt superficiel et non d'une affinité profonde avec un autre créateur. Ces recherches permettent, cependant, de situer dans le contexte de son époque une œuvre qui semble tantôt se confondre avec celle des autres peintres de genre, si l'on ne s'attache qu'aux sujets traités, tantôt n'avoir pas de précédents, si l'on est sensible seulement aux qualités uniques de l'artiste et de son univers très secret.
Divers jeux de coordonnées ont été mis en œuvre. D'abord les rapports avec les peintres italiens, évidents surtout dans les œuvres de jeunesse ; l'hypothèse d'un voyage en Italie semble peu plausible, bien qu'il puisse être tentant de penser que Vermeer ait vu des Giovanni Bellini, des Giorgione, des Piero della Francesca. En tout cas, Vermeer connaissait fort bien la peinture italienne (l'expertise de 1672 à La Haye le prouve), peut-être par son commerce d'art et l'accès à certaines collections. Il est certain, par ailleurs, que des artistes hollandais, surtout de l'école d'Utrecht, lui ont transmis des échos du grand courant caravagesque. Le Christ chez Marthe et Marie est proche de Hendrik Terbrugghen (1588-1629), qui a traité le même thème ; une toile de Dirck Van Baburen (vers 1590-1624) est peinte au mur de deux des intérieurs de Vermeer (elle était sa propriété) et des éléments de la palette de Vermeer se retrouvent chez les peintres d'Utrecht (les bleus, les jaunes vifs sont employés notamment par Terbrugghen), comme aussi les thèmes de musiciens.
Vermeer a également été influencé par les tableaux de Jacob Van Loo (1614-1670), en particulier lorsqu'il peignait la Diane et ses nymphes. Quant à son compatriote Leonard Bramer (1594-1674), qui fut témoin de son mariage, il a été souvent signalé comme un maître possible ; il transmettait, lui aussi, des influences caravagesques, mais à travers l'exemple de Rembrandt.
Rembrandt et son entourage constituent un autre pôle d'attraction pour Vermeer. La possibilité d'un contact direct, lors d'un voyage à Amsterdam, a été avancée : pure hypothèse là encore, dont on peut faire l'économie, les rapprochements étant plus convaincants avec Nicolaes Maes, Carel Fabritius (1622-1654) et Samuel Van Hoogstraten – ce dernier, utilisateur de chambres noires servant à résoudre des problèmes de perspective et dont on a souvent pensé que Vermeer avait pu se servir lui-même.
Les rapprochements les plus évidents, car portant sur les sujets traités, concernent les autres peintres de genre hollandais. Des analogies sont évidentes avec Gerard Terborch, Gabriël Metsu, Frans Van Mieris et surtout Pieter de Hoogh, mais il est difficile de savoir dans quel sens s'exercent les influences : elles furent mutuelles, au moins dans le cas de Pieter de Hoogh.
Vermeer n'a donc rien d'un peintre provincial et autodidacte. Son œuvre est placée à de nombreux carrefours de la création picturale de son époque. Et pourtant elle a fait de plus en plus figure de miracle isolé et fut l'objet d'une admiration passionnée et éblouie de la part de nombreux artistes et écrivains, de Théophile Gautier à Renoir et à Van Gogh, des Goncourt à Proust, à Claudel et à Malraux. Vermeer est l'un des peintres qui a poussé le plus loin l'illusion figurative, mais sans se perdre dans la sécheresse du détail minutieusement traité, sans céder d'autre part aux facilités de l'anecdote. Sa maîtrise technique est étonnante, mais ne se manifeste qu'avec discrétion, pour mettre en évidence la texture des objets et leur façon d'accrocher la lumière : perles ou tapis, éclat d'un vitrail ou épiderme terne d'une carte de géographie. Vermeer a été souvent évoqué comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme. Cet aspect de son œuvre est le plus évident dans la Vue de Delft, que Proust admirait tant : touche pointilliste, a-t-on pu dire, faite de « gouttes lumineuses » rendant les reflets, à l'opposé des coups de brosse affirmés d'un Frans Hals ou d'un Rembrandt comme du faire porcelainé d'un Gerard Dou (1613-1675) ou d'un Frans Van Mieris.